Tel un vaisseau spatial qui s’intègre avec majesté, audace et élégance dans le cœur de la Cité de la Musique à la Villette, la Philharmonie de Paris nous embarque dans le 21ème siècle. Nonobstant les polémiques diverses entourant la grande aventure de sa réalisation, force est de constater que cet ouvrage exceptionnel crée un nouveau standard mondial jamais atteint. Il constitue une nouvelle référence sur le plan de l’acoustique et de la communion avec toutes les musiques qui enveloppent l’auditoire de manière haptonomique. Magie pure ou conception rigoureuse ? Expérience live.
Par Jean-Marie HUBERT
Chef de rubrique high-tech & lifestyle chez DANDY
Photos :Jean-Baptiste Millot, Charles Platiau, auteur
Article original paru dans DANDY n° 60 : lire ICI
Mise à jour et enrichissements : Mars 2020
Rubrique : Art&Technologie / High-Tech Lifestyle
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Découverte de la Philharmonie de Paris
Fort d’expériences riches et variées d’Epidaure ou Orange à la Scala de Milan, en passant par Glyndebourne, le MET à New-York, la Fenice à Venise, Covent Garden à Londres et bien entendu le Palais Garnier et l’Opéra Bastille à Paris, c’est avec avidité que je me rendis pour la première fois dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, la « Philharmonie 1 », lors d’une répétition d’un concerto de Rachmaninoff par l’Orchestre de Paris. Le choc est immédiat. La salle étant vide de spectateurs, je parcourus le parterre de droite à gauche, filais au premier balcon, puis au deuxième, en un mot je cherchais les bonnes places et restais interdit : quelle que soit la place, les frissons me gagnaient, je me sentais immergé dans l’orchestre comme par magie, vivais dans la musique que j’entendais. Je n’ai donc eu de cesse, par la suite, que d’obtenir des places pour différentes représentations, ce qui fut une croisade, tous les concerts de la saison affichant complet.
J’obtiens finalement une place magnifique en parterre de la Philharmonie de Paris, pour le Requiem de Verdi : quelques 70 musiciens et 100 choristes du double chœur sur la scène centrale, sont emportés par la baguette de Gianandrea Noseda. C’est un choc puissant, envoûtant.
La salle retient son souffle, se trouve enveloppée par la déferlante des sons de l’orchestre de Paris, et alors que deux trompettes cachées dans les balcons ponctuent le déchaînement colérique du Dies irae, les frissons annoncent l’émotion qui gagne tous les spectateurs. Une sensation unique et partagée par tous : quelle que soit sa place, chacun a l’impression de se trouver au cœur de la scène sonore. Nous sortons comme sonnés de la représentation.
Durant les semaines et mois suivants, mon obstination me permet d’écouter la sublime pianiste Hélène Grimaud avec l’orchestre de l’Academia Nazionale di Santa Cecilia de Rome sous la baguette de Sir Antonio Pappano. Même ressenti, même envoûtement, même émotion avec piano comme avec le symphonique. En finale, ce fut la symphonie n°3 avec orgue de Saint Saëns, un séisme ! Ce fut la première en concert de l’orgue symphonique de la Philharmonie 1, un instrument exceptionnel, le plus puissant d’Europe, disposant de pas moins de quatre claviers, 91 jeux et 6055 tuyaux.
Dans un autre registre, la Philharmonie de Paris accueille également des grands noms du jazz, notamment lors des rendez-vous Jazz at the Philharmonie #1, qui ne sont pas sans rappeler les concerts JATPP initiés par Norman Granz dans les années 44 à 47 aux USA, puis en Europe et au Japon. Toujours la même constatation, quelle que soit la musique ou la taille de l’orchestre, du soliste au philharmonique : on est enveloppé dans la musique, au cœur de l’orchestre quelque soit la place occupée.
Ce qui frappe en outre, c’est que le timbre et le niveau sonore des instruments est toujours parfaitement respecté, en solo comme dans la masse orchestrale. Le moindre pizzicato, la plus subtile des attaques de l’archet sur les cordes : chaque détail est présent. La profondeur de champ et le positionnement de chaque instrument dans l’orchestre peut être localisé avec une précision inouïe.
De réflexions précoces en réflexions tardives, comment cela est-il possible ?
Pour bien comprendre la magie de l’architecture acoustique de la Philharmonie de Paris, il est nécessaire d’évoquer en préambule quelques règles d’acoustique de base. Un son se comporte comme une multitude de petites balles. Une fois émis, il se propage et, selon la paroi ou l’obstacle qu’il rencontre ; dur, donc réfléchissant, ou mou, donc absorbant, en fonction de quoi il revient avec plus ou moins d’intensité et de rapidité vers la salle et l’instrumentiste. C’est ce que l’on appelle le temps de réverbération. Il est de 2,3 secondes à la Philharmonie de Paris. Ce jeu entre réflexion et amortissement doit être parfaitement maîtrisé. Plus encore, si l’obstacle est percuté par le son à angle droit, il revient vers sa source. S’il est percuté avec un angle, il suit une trajectoire différente, telle une boule de billard. Il est dès lors facile d’imaginer que les nombreux sons émis par les nombreux instruments vont percuter murs, plafonds, fauteuils et décors avec des taux de réflexion variables, constituant ainsi en revenant vers la salle une nouvelle source sonore composite qui se mêle au son émis par les instruments de l’orchestre.
Une salle à géométrie régulière, avec des murs plans et parallèles est à priori le cas d’école le plus défavorable si l’on veut maîtriser son direct, son réfléchi et temps de propagation. Par ailleurs, complication supplémentaire : les musiciens et le chef ont besoin de « réflexions précoces » pour s’entendre en instantané, mais l’auditeur doit bénéficier de « réflexions tardives » qui doivent s’harmoniser à son oreille avec le son direct. C’est le mélange maîtrisé entre les différents types de réflexions et d’absorptions qui délivre un message cohérent, performance rendue possible par un jeu complexe mais raisonné de choix de matériaux plus ou moins denses, et de formes toujours fuyantes et à géométrie de vagues et nuages.
Le problème de l’acoustique dans les salles de concert ou de spectacle a toujours existé. Les Grecs l’avaient déjà compris dans la conception des théâtres, dont notamment celui d’Epidaure : assis au dernier rang des gradins supérieurs, on peut entendre murmurer l’interprète au centre de la scène. Aujourd’hui, les acoustiques désastreuses sont nombreuses et souvent sans rapport avec l’investissement, celle du Palais des Congrès de Paris étant certainement une des pires. On remarquera que les architectes se sont, dans ces cas, souvent affranchis de l’intervention de cabinets d’ingénierie acoustique au tout début du projet. Ce qui revient à créer une magnifique cuisine sans savoir jamais cuisiné. En France notamment, les écoles d’architecture sensibilisent peu sur les phénomènes acoustiques, tout comme sur les technologies domotiques d’ailleurs. Il en résulte parfois des situations ubuesques. Ce n’est pas le cas à la Philharmonie de Paris qui est une référence mondiale dans ce domaine.
Un autre principe de base à intégrer est le rôle de l’acoustique dans le concert. Ce que l’on demande à une salle est de se comporter de manière naturelle et de porter le message sonore jusqu’à l’auditeur, sans l’altérer par des excès de réflexion ou d’amortissement qui feraient disparaître certains instruments ou les submergeraient par une masse sonore non maîtrisée. En cela on est très proche de la reproduction musicale à domicile, où ce que l’on demande à sa chaîne hifi n’est pas d’avoir un « bon son » mais tout simplement de restituer la musique, le timbre des instruments, la scène sonore avec justesse et réalisme, sans rien ajouter ni rien retirer. Une bonne chaîne ou une bonne enceinte n’ont pas de personnalité, elle sont simplement fidèles, absentes de coloration intrinsèque.
Entrons ensemble dans la Philharmonie de Paris !
Pour comprendre comment ces règles sont ici appliquées, entrons à présent dans la Philhamonie 1. Je suis accompagné de Patrice Januel, directeur de la Philharmonie, qui a suivi le projet dès le départ et nous dévoile quelques aspects fondateurs de ce miracle. Rappelons que la réalisation de l’ensemble a été confiée à Jean Nouvel , lauréat du concours international organisé en 2007, pour imaginer un nouveau modèle de création et de transmission musicales. Célèbre architecte français à stature internationale, il s’est fixé comme objectif de créer une salle polyvalente et modulable, pour accueillir toutes les musiques. Parmi ces musiques du symphonique bien sûr, mais aussi du jazz et des musiques amplifiées. Il fallait pouvoir recevoir toutes les configurations orchestrales, du soliste au grand orchestre. Le challenge majeur fut de limiter la distance entre l’orchestre et le public, pour une expérience unique. C’est un projet d’une audace inattendue, où les antagonismes techniques font florès.
L’architecte vedette démontre sa sagesse lorsque, conscient du fait que l’acoustique à ce niveau est un art mais aussi un écheveau de techniques complexes, il choisit les deux plus grands cabinets du monde et les fait travailler de concert (sans jeu de mots…), bien que concurrents dans l’appel d’offres.
Faisons connaissance avec les acousticiens de génie
Il s’agit de Harold Marshall et de Tateo Nakajima, les deux stars incontestées du design acoustique mondial, auxquelles les acousticiens Yasuhisa Toyota et Eckhard Kahle se joignent également. Harold Marshall et ses bureaux labellisés Marshallday acoustics comptent une centaine d’ingénieurs architectes de par le monde. Il a réalisé notamment l’opéra de Canton, premier opéra dit « asymétrique », et les studios de Peter Jackson. Tateo Nakajima a quant à lui réalisé la Maison symphonique de Montréal, le célèbre centre de la culture de Lucerne et la rénovation de la salle Pleyel.
Jean Nouvel leur demande de repartir d’une feuille blanche pour une salle de 2400 places, dans laquelle le siège le plus éloigné de l’orchestre ne doit pas s’en trouver à plus de 32 mètres. Inutile de dire qu’il s’agit d’une prouesse architecturale inédite pour cette capacité de salle. On connaît les salles à géométrie classique en forme de boîte à chaussures (Musikverein de Vienne ou Pleyel à Paris), ou de vignoble (Philharmonie de Berlin), ou encore à l’italienne, idéale pour l’Opéra (Palais Garnier). Appliquant ces règles, il fallait dessiner une architecture brisant toutes les parallèles, arrondissant en galbe tous les volumes en mélangeant des matériaux de toutes densités et en créant des « accidents » sur les surfaces pour diffracter les sons. En outre, pour assurer à tous les auditeurs de ne pas être trop près d’un mur de fond et de pouvoir être, à tout emplacement, enveloppés par le son, se profila l’idée maîtresse : créer deux enveloppes ovoïdes imbriquées en forme de chambres totalement asymétriques, dont l’une, contenant l’orchestre et les auditeurs avec les balcons, serait distante de quelques mètres de la seconde qui constitue le contour extérieur. Le public se trouve donc comme suspendu dans les balcons nuages et la musique peut envelopper complètement l’auditoire, passer derrière les spectateurs quelle que soit leur place, pour les immerger dans le spectacle. Un autre challenge de taille fut de parvenir à créer une enveloppe externe en béton, capable d’isoler la salle de tout bruit extérieur. Dans le même esprit, les sections des gaines d’air conditionné ont été largement surdimensionnées afin d’éviter le bruit de la circulation de l’air. Détail surprenant, chaque fauteuil dispose de sa propre arrivée d’air.
Configuration de la grande salle
L’orchestre, quand la salle est en configuration symphonique, est placé au centre du parterre et se retrouve de fait dans l’auditoire. Cette proximité des musiciens et des auditeurs est une expérience fantastique, même si les auditeurs se trouvant derrière l’orchestre ont une scène sonore inversée avec les violoncelles et les hautbois à gauche et les violons et les flûtes à droite…
Dans le volume de la salle de nombreux nuages, plaques et bandes en forme de vagues sont autant d’accidents de parcours, tour à tour réfléchissants ou amortissants, pour asservir le son. Ce qui est remarquable c’est la canopée, grand nuage central situé au dessus de l’orchestre, dont la position est réglable en hauteur : haute dans le cas d’un grand orchestre pour donner plus de volume, basse pour les petites formations ou les solistes pour créer une acoustique plus intimiste. Les autres dispositifs du volume en forme de vagues sont tantôt de densité très élevée pour renvoyer très rapidement le son sur l’instrumentiste, ou de fort taux d’absorption pour piéger les réflexions parasites. Les balcons asymétriques donnent l’impression de flotter et sont partie intégrante du dispositif acoustique.
Dans les cas de représentations ou concerts de musique acoustique ou de jazz, la configuration de la salle peut changer et l’orchestre se retrouver en fond de salle, les sièges étant à cet endroit escamotables, permettant de passer d’une capacité de 2400 à 3650 places. Par ailleurs, pour s’affranchir de l’acoustique dans le cas de musique amplifiée, de grandes tentures très absorbantes sortent des flancs de l’enveloppe de la salle pour amortir l’excès de flux sonore.
La philharmonie de Paris, une ambiance haptonomique
Pour entrer dans les détails d’ambiance, les couleurs les plus foncées se retrouvent dans la partie inférieure de la salle et les plus claires en étage, pour figurer dans le décor la naissance et l’éclosion de la musique en provenance de la scène centrale. L’éclairage est également maîtrisé de manière à accentuer les ambiances en fonction des musiques, et les fauteuils disposés de manière à épouser les différentes parties de la salle et des balcons. On retrouve d’ailleurs un balcon inférieur similaire aux « balcons de la reine » que l’on trouve dans les salles des pays nordiques et anglo-saxons notamment. Les rangées sont peut-être un peu serrées, même au parterre où les mélomanes de plus de 1,70 mètre éprouveront quelque inconfort.
Le balcon de la Reine : Un emplacement de choix …
à la Philharmonie de Paris en particulier.
Le balcon de la reine est pour moi un emplacement de choix. Vous remarquerez que vu de la salle, ce balcon en corbeille semble suspendu et la vue de ce balcon sur l’orchestre est très intéressant pour le mélomane. En effet, autant les places du parterre offrent une vue et une écoute panoramique de face la vue du balcon offre un certain nombre d’avantages.
Tout d’abord la vue plongeante sur l’orchestre vous permet à chacun des soli de suivre le musicien en vue plongeante. Ensuite le chef est de 3/4 face (prenez l’extrémité droite du balcon), ce qui vous inclut dans les détails de sa direction d’orchestre et des messages codés qu’il envoie à ses musiciens. Plus encore vous vous sentez totalement en inclusion entre les musiciens. C’est une expérience unique à mon sens.
Réservez à la Philharmonie
A présent armez-vous de patience, car obtenir une place aux tarifs proposés sur le site de la Philharmonie et à leurs services de réservation relève, pour le moment, d’un parcours difficile, car les meilleurs concerts et les meilleures places sont souvent déjà prises par les abonnés, les entreprises et sponsors. Cependant quelques officines spécialisées, dont American Express, proposent de faire des miracles, certes tarifés. La rançon d’un succès bien mérité….
La bonne formule est d’être en permanence et état de veille pour prendre les billets en ligne sur le site de la Philharmonie dès que possible. Sachez aussi que si un concert est déjà complet, il est possible de vous inscrire sur une liste d’attente qui se libère souvent quelques jours ou quelques heures avant le concert car justement des abonnés ou des entreprises rendent des places.
La très bonne nouvelle est que la Philharmonie de Paris étant subventionnée, les prix au public sont modérés, jusqu’à 10€ pour un 2e balcon : Rassurez vous, comme je vous le disais, l’acoustique est tout à fait remarquable partout dans la salle !
Un autre conseil : la Philharmonie de Paris organise des visites privées et cela vaudra bien mieux que tout ce que je pourrai vous raconter sur les secrets architecturaux et acoustiques du lieu !
La Philharmonie de Paris en bref …
Coût global : près de 400 millions d’euros Superficie : 70.000 m2 sur 11 niveaux Capacité grande salle 1 : 2400 à 3650 places selon configuration Volume : 30.000 m3 Temps de réverbération moyen : 2,3 s |