HAPPENING AU CHÂTEAU DE LA MOTTE TILLY
Vivre un moment d’histoire envoûtant, avec une présence haptonomique de ses occupants, pourtant disparus. Un happening au château de La Motte Tilly !
Une magistrale leçon d’histoire et d’élégance avant que les premiers dandys ne se régalent de cette fin de siècle.
Dandy living : Une approche du patrimoine par le style de vie.
Par Jean-Marie HUBERT
Chef de rubrique Lifestyle chez DANDY
Article original publié dans DANDY n°80 : HAPPENING AU CHATEAU DE LA MOTTE TILLY
Photos : Auteur et CMN © P. Berthé – P. Cadet / Centre des monuments nationaux – Photo de presse. / © Yann MONEL – Philippe BERTÉ – David BORDES – Patrick Müller – Didier PLOWY – Centre des monuments nationaux – Photo de presse.
Rubrique : Patrimoine & Style de vie
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C’est grâce à Aliette de Rohan-Chabot, marquise de Maillé, que cette expérience vous est offerte.
À 22 ans, elle perd son mari et son frère à la grande guerre.
Puis son unique fille, Claire Clémence, en 1970 de maladie.
Quand la Marquise décède à son tour en 1972, elle lègue le domaine avec château, terres et bâtiments à la Caisse Nationale des Monuments Historiques (Aujourd’hui CMN), ainsi que son immense fortune, pour éviter que ce patrimoine soit dispersé. `
Mais elle le fit avec un testament précis :
Ce château devra rester ouvert au public, sans rien changer de ce qui fait son incroyable chaleur et sa grande intimité : Le mobilier, les tableaux, la vaisselle, les rideaux, draps et tentures, pour que le visiteur vive une expérience immersive dans son histoire.
C’est le premier acte fondateur du happening au Château de La Motte Tilly.
Les jardiniers devront continuer à entretenir et tailler ce magnifique jardin à la Française, dans un parc de 1080 ha, couper des fleurs pour garnir les vases des différentes pièces du château, augmentant ainsi le ressenti d’un château habité.
Créatrice de la « Fondation pour la Sauvegarde de l’Art Français », dont le Comte Olivier de Rohan Chabot est actuel président, on prend la mesure de ce testament, un legs et un message aux générations futures pour la sauvegarde du patrimoine.
Le visiteur, précédé par des guides maîtrisant parfaitement l’époque et chaque détail du château, découvre le bureau de la Marquise, ses livres, ses revues, son stylo plume et son papier… L’encre est-elle sèche ?
Les cadres avec les photos de son mari, Jacquelin de Maillé de la Tour-Landry, de son frère Gilbert, de sa fille Claire Clémence enfant, signé Harcourt.
On a l’impression qu’elle vient de quitter la pièce, mais que certainement nous allons la recroiser à chaque instant, tant l’ambiance est prenante et les récits d’une précision saisissante. Son parfum flotte …
L’expérience continue dans le boudoir et sa porte dérobée, où l’histoire de celui qui construisit le château, Joseph Louis Terray, s’arrête sur une note grivoise dont un dessin conte les secrets.
Puis s’enchaînent les découvertes avec le billard en fine marqueterie avec boules et queues en bois précieux, comme arrêtées en plein jeu.* photo billard
Puis le grand salon où les tables de jeu, tric trac, dames, échecs des meilleurs ébénistes, se répartissent dans une composition étudiée.
Nos guides sont finalement des metteurs en scène d’un spectacle qui nous est donné avec tant de vérité que nous y participons. Une forme d’«escape game» au siècle des lumières !
L’un d’entre eux, Emmanuel, saura par un jeu très habile, entraîner les enfants dans des jeux de quiz très attrayants.
Dans la bibliothèque, les magazines de l’époque, négligemment ouverts, tutoient de magnifiques ouvrages de la bibliothèque constituée par le Comte Gérard de Rohan-Chabot, père de la Marquise.
Dans la salle à manger, surprise, la table est mise et nous attend !
C’est l’occasion d’admirer les magnifiques porcelaines dures de Chine et d’apprendre comment étaient servis les repas et les boissons au XVIIIe. Pas de verres à table, chaque convive est servi à la demande dans les verres gardés au frais dans le rafraichisseur. Et de découvrir ces petits coquetiers, car on dégustait les oeufs de caille, ou bien cette tasse à deux anses dite « trembleuse » réservée à ceux dont l’âge avancé ne peuvent préserver des petits incidents.
Une récente exposition sur l’art de la table au XVIIIe mettait d’ailleurs en scène les repas de cette époque. Puis, selon les saisons, vous irez dans les cuisines, dans les chambres et particulièrement la chambre de la marquise où la desserte de lit du petit déjeuner l’attend. *
Précisons tout de même que le mobilier, s’il est XVIIIe, n’est pas le mobilier d’origine, car bien évidemment la révolution Française a détruit ou dispersé le contenu de presque tous les châteaux en France. C’est donc le comte Gérard de Rohan Chabot, père de la marquise de Maillé, qui quand il reprit le château au début du XXe, fit les grands travaux de rénovation et l’aménagea à nouveau avec des meubles d’époque, pour certains signés.
La bibliothèque est d’une richesse et d’une diversité incroyable. Des livres anciens avec peintures et dorures à la main, des encyclopédies, des manuscrits et des registres.
Une partie de la bibliothèque révèle les amitiés de la famille par des autographes : Anatole France, Paul Deschanel, le général de Lattre de Tassigny et Charles Maurras, qui avait ses appartements au château.
C’est un moment rare, dans ce cadre somptueux, avec cette mise en scène d’un réalisme parfait et les récits passionnants que vous ne verrez pas passer cette heure dans le XVIIIe siècle.
Heureusement une promenade dans le parc et ses jardins à la française vous garderont pour une heure supplémentaire si le temps le permet.
Le « Tilletum » une des plus belles collections botaniques de tilleuls vous y attend, avec pas moins de 77 espèces différentes. Un potager produit ses fruits et légumes bio aux villages voisins tous les mercredis. Sachez que vous êtes ici à une heure trente de Paris en voiture (ou 55 minutes par le train, gare de Nogent Sur Seine). Si votre agenda le permet ne manquez pas, à 5km de La Motte Tilly, le Musée Camille Claudel, le seul au monde, à Nogent Sur Seine, la terre de la sculpture Française, les demeures et ateliers de Marius Ramus, Paul Dubois, Auguste Rodin ou Alfred Boucher.
L’abbé Joseph Marie Terray, seigneur de La Motte Tilly, du siècle des lumières aux ténèbres du tombeau…
On ne peut pas vous conter le château de La Motte Tilly sans vous conter l’histoire de celui qui le construisit.
Joseph Marie Terray fut ministre du Roi Louis XV et contrôleur général des finances. Vous en entendrez parler tout au long de votre visite du château.
Regardez ce portrait signé Alexander Roslin :
Le personnage porte fièrement la « Croix de Saint Esprit », le plus noble des ordres de chevalerie, créé par Henri III et dont la direction est réservée au Roi. Il en fut le greffier.
Le costume rappelle celui des ecclésiastiques, qu’il n’est pas en réalité, étant Abbé « Commanditaire » c’est-à-dire en charge de gérer les riches abbayes et autres biens de l’église.
A la main, un billet du Roi. Derrière lui le dossier lui confiant sa charge.
Ce tableau est actuellement dans la collection du château de Versailles.
Regardons ensuite sa demeure de La Motte Tilly, un élégant château pur XVIIIe qui impose par son élégance.
Le tableau est parfait. Notre personnage s’impose.
Mais ce fut un des hommes les plus détestés de son temps par ces réformes, sur le fond et sur la forme, car il était odieux.
Un ouvrage très descriptif, bien qu’un peu pamphlétaire, fut d’ailleurs édité à la fin du XVIII par JB Coquelin, précieux document d’époque que nous nous sommes procurés.
Les caisses du royaume se trouvèrent bien vides après le règne du Roi Soleil et par le train de vie dispendieux de l’époque à la cour. Joseph Marie obtint rapidement les faveurs du roi en mettant en place de nouveaux impôts et surtout en n’épargnant personne dans l’échelle sociale. Les pauvres, pour ne rien changer au système, mais aussi les riches bourgeois, la noblesse, le clergé et même les militaires ! Il fallait prendre l’argent où il était et tant pis pour la détestation générale qu’il générait ; il avait les faveurs du roi et subsidiairement de son épouse, la Marquise de Pompadour et de sa maîtresse la Comtesse Du Barry. Son dispositif est sans nul doute le fondement de l’actuel impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune, mais aussi de la réforme des retraites.
Quelle actualité Joseph Marie, célèbre jusqu’à nos jours !
Le château de La Motte Tilly fut donc construit en 1754 avec son frère Pierre, descendant de la Marquise de Maillé que nous évoquions plus haut.
A l’époque les bâtiments se complétaient sur l’aile gauche par une suite de bâtiments abritant les cuisines, les bains et le théâtre. Cette villégiature d’été devait permettre de s’évader de la cour et de prendre le frais à la belle saison et de jouir des plaisirs de la vie. Joseph Marie qui n’avait d’abbé que le nom, était amateur de belles femmes qu’il invitait ici après les avoir rencontrées à la Cour. Ces relations lui permettaient subsidiairement d’accéder à de petits secrets sur l’oreiller lui permettant de mener enquêtes et investigations.
Diable, l’abbé avait un côté « Bureau des légendes » !
Les impôts qu’il mit en place lui valurent d’être détesté par tous et il le fit sans états d’âme. Aux militaires à qui il supprima bon nombre d’avantages il déclara que l’honneur de servir et de combattre devrait leur suffire. Le Roi, à qui il demandât comment il trouvait les noces somptueuses organisées pour le Dauphin, dit « Tout simplement impayables ! ». Et donc personne ne fut payé.
La haine généralisée en fit un ennemi public et quand le roi, bien peu reconnaissant de lui avoir rempli les caisses le congédia, la foule le poursuivit brûlant son effigie. Il s’enfuit en son château par les rives de la Seine. Il ne dût son salut qu’à une bourse d’écus d’or jetée du bateau sur la rive. A sa mort en il demanda pour dernière demeure un tombeau signé Félix Lecomte, monument classé et qui se trouve dans la petite église du village de La Motte Tilly.
Il avait échappé à la guillotine, mais les révolutionnaires vinrent le sortir de son tombeau et éparpiller ses restes dans les rues du village. Du siècle des lumières aux ténèbres du tombeau, c’est ainsi que ce termine cette histoire.
Château de La Motte Tilly
D 951 La Motte Tilly 10400 – a 5 km de Nogent Sur Seine
A une heure 45 de Paris par la route ou à 50 minutes en train au départ de la Gare de l’Est
http://www.chateau-la-motte-tilly.fr
Plein tarif : 8€ par personne
Ouvert tous les jours du mardi au dimanche. Visites guidées toutes les heures.
Une visite au Musée Camille Claudel (le seul du genre) est recommandé à Nogent Sur Seine, ville de la sculpture française du siècle passé.
A Consulter :
Rédacteur en chef et éditeur :
Jean-Marie HUBERT
A paraitre prochainement :
Joseph Marie TERRAY,
seigneur de La Motte Tilly du siècle des lumières aux ténèbres du tombeau